« Le plus beau est de partager sa joie »

Retour

Elle a été la surprise par excellence aux Championnats du monde de ski alpin à Åre : La Schwytzoise Corinne Suter a décroché la médaille d’argent en descente après avoir obtenu le bronze en Super-G. Le rédacteur de Snowactive Richard Hegglin s’est entretenu avec elle sur sa joie d’avoir remporté ces deux médailles, sure son idole Lindsey Vonn et sur le veau du Val d’Hérens qu’elle considère comme le plus beau cadeau pour ses succès aux CM.

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis les CM. Te rends-tu désormais compte de ce que tu y as réalisé ?
Corinne Suter: Pas mal de choses ont changé autour de moi. On m’aborde dans la rue, beaucoup de monde veut obtenir quelque chose de moi. Mais dans le fond, je suis restée la même. Du moins je l’espère. Pour l’instant, personne ne m’a dit que j’avais changé. La réaction liée aux deux médailles est quelque chose de magnifique. Et le plus beau est de partager sa joie avec les personnes qui t’ont aidée. Sans elles, je ne serais pas là où je suis.

Tu as donc bien vécu la période des festivités, des honneurs et des obligations ?
Parfois, c’était assez fatigant. Il y a deux facettes. On vit beaucoup de belles choses. Mais à un moment donné arrive à nouveau le quotidien, on doit s’entraîner, la vie et la carrière continuent. J’aimerais surtout continuer de skier vite.

La semaine de Coupe du monde à Sotchi où tout a été annulé pour des raisons météorologiques n’était donc en soi pas une mauvaise chose ?
Certaines se sont un peu énervées, mais je n’étais pas malheureuse, en effet. J’aurais bien entendu volontiers couru. Mais lorsque j’ai vu les quantités de neige, il m’est apparu clair que des courses justes n’étaient pas possibles. J’ai donc rapidement pris la décision de profiter de mon séjour différemment, de m’offrir un peu de repos, de répondre au courrier de mes fans et de parfaire ma condition physique. On peut tirer du positif de n’importe quelle situation.

Parmi tous les honneurs ou cadeaux que tu as reçus, y a-t-il eu quelque chose qui t’a particulièrement réjoui ?
Le plus beau cadeau que j’ai reçu a été un veau du Val d’Hérens que Kurt Summermatter, un éleveur et fan de ski de Saas-Fee m’a offert. Il est spécial parce qu’il s’agit d’un « cadeau vivant » et qu’il va toujours me rappeler les courses des CM. Il a été baptisé « Åre ». De manière générale, j’aime beaucoup les animaux : j’ai quatre chats à la maison et j’aime faire du cheval. Lorsque je suis avec des animaux, je peux oublier tout ce qui se trouve autour de moi.

En 2014, tu as remporté deux fois l’or aux CM chez les juniors, en 2019 deux médailles aux CM. Daniel Albrecht et Marc Berthod ont aussi remporté des médailles chez les adultes cinq ans après leurs titres aux CM juniors, aussi à Åre. Un certain temps d’apprentissage est-il nécessaire ?
C’est très variable, chaque athlète est différent. J’ai toujours eu besoin de plus de temps pour me développer. Déjà quand je faisais partie du cadre C lors des courses FIS, cela a pris du temps avant de me retrouver tout devant. Ça a été la même chose en Coupe d’Europe : au début, je me trouvais en fin de classement, à la fin tout en haut (sept succès individuels, vainqueur du classement général de deux disciplines, réd.) Et maintenant, c’est la même chose en Coupe du monde. Chez moi, cela prend toujours plus de temps jusqu’à ce que je me sente bien avec tous les membres de l’équipe afin de pouvoir me donner 100%.

En Coupe du monde, tout le monde sait skier. Dans l’élite, c’est très serré. Ça se joue à quelques centièmes de seconde. J’en suis sûre : à ce niveau, ça ne se joue que dans la tête.

Corinne Suter

Avec le recul, dans quels domaines avais-tu le plus de travail à effectuer ?

La tête était le problème principal. J’ai toujours eu les qualités athlétiques, de point de vue technique aussi, tout allait bien. Mais pendant longtemps, je me suis mise moi-même en travers de mon chemin. En Coupe du monde, tout le monde sait skier. Dans l’élite, c’est très serré. Ça se joue à quelques centièmes de seconde. J’en suis sûre : à ce niveau, ça ne se joue que dans la tête. C’est pourquoi avant les Jeux Olympiques de PyeongChang, j’ai commencé à collaborer avec le préparateur mental Martin Betschart.

Du point de vue du caractère, tu aurais été une sportive idéale pour les sports d’équipe : tu ne te mets pas en avant et tu es plutôt là pour les autres.
Cette impression n’est pas correcte. Je ne pourrais jamais faire un sport d’équipe, je serais trop ambitieuse. Je suis volontiers avec d’autres personnes dans une équipe. Et parfois je prête trop attention à ce que les autres ressentent. Mais lorsqu’il s’agit de compétitions et de résultats, je préfère être seule (elle éclate de rire).

Déjà quand tu étais jeune, tu ne t’imposais pas aux autres. Tu n’es pas entrée par toi-même dans un ski-club. Au contraire, c’est le Skiclub Schwyz qui t’a repérée.
Je disputais des courses de jeunes avec du matériel très ancien, il était impossible d’être rapide. Un entraîneur qui a remarqué cela m’a ensuite invitée à rejoindre le groupe de compétition. Je ne voulais pas, notamment à cause de mes parents, parce que cela coûtait de l’argent. Nous avons réussi à trouver un arrangement. Je suis donc allée acheter de nouveaux skis. Tout a commencé ainsi ...

Lindsey Vonn est ton idole. En-dehors de la piste aussi, elle cherche à être sous les feux des projecteurs, à l’opposé de ce que tu fais.
C’est vrai, ce n’est pas mon genre. Si je ne skiais pas, je ne serais pas non plus active sur les réseaux sociaux. Je veux skier vite et pas être célèbre ou connue. Ce n’est pas mon truc. Je fais ce qui me procure du plaisir. Skier est ma passion.

Qu’est-ce qui te fascine chez Lindsey Vonn ?
Personnellement, je ne la connais pas très bien. Mais sa façon de tirer ses courbes sur la piste m’a impressionnée de même que son amabilité avec les gens. Elle parle vraiment avec tout le monde. Quand j’étais encore une toute jeune athlète et que je n’y connaissais rien, elle est venue vers moi. Cela m’a impressionnée. Lorsque nous nous sommes entraînées ensemble pour la première fois, j’étais tellement bloquée que je ne pouvais presque plus skier.

Mais il existe tout de même des parallèles entre vous. Elle a déjà six vaches et veaux dans une ferme à Kirchberg (AUT). Elle a reçu deux d’entre eux à Val d’Isère où, à la surprise des organisateurs, elle a choisi la vache et non l’argent en espèces comme prime du vainqueur. Donc ...
(elle rit déjà avant que la question ne soit posée) Ce serait vraiment cool si mon petit veau avait une copine. Je vais tout faire pour gagner à Val d’Isère. 

Interview : Richard Hegglin