« Et là tu te dis: wow, on a vraiment été bonnes »

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Nadine Fähndrich (à g.) et Laurien van der Graaff ont décroché la première médaille suisse chez les femmes aux Mondiaux de ski de fond depuis 34 ans. (Image: Keystone-SDA)

Laurien van der Graaff (33 ans) et Nadine Fähndrich (25 ans) reviennent sur leur médaille d’argent lors du sprint par équipes des Mondiaux d’Oberstdorf. Elles parlent de cette complicité qui leur permet de viser haut.

Comment décririez-vous l’autre en trois adjectifs?

Laurien van der Graaff: Nadine est très franche, organisée et puissante.
Nadine Fähndrich: Serviable, motivante et ouverte – voilà ce qui me vient spontanément en pensant à Laurien.

A la fin février, vous avez remporté ensemble l’argent du sprint par équipes des Mondiaux. Quel regard portez-vous sur ce résultat avec quelques semaines de recul?

van der Graaff: Cela s’est passé exactement comme nous nous l’étions imaginé. J’étais tellement concentrée et dans mon tunnel que je n’ai même pas réalisé qu’il se passait beaucoup de choses autour de moi pendant la course – des chutes, des athlètes qui se gênaient les unes les autres. Et je m’en suis sortie..
Fähndrich: Pour moi, il est important de faire une analyse juste après la compétition, car le point de vue interne est parfois différent du point de vue externe. Il se peut que je ne perçoive pas les différentes situations sur le parcours de la même manière qu’en tant qu’observatrice extérieure. Mais d’Oberstdorf, je ne regarde plus que les images de l’arrivée, elles sont tellement émouvantes.

Laurien, tu as dit que tu te souvenais de chaque seconde de ce moment de grâce.

van der Graaff: A partir du moment où Nadine a commencé le dernier tour, j'ai encore tout en tête, comme si je regardais un film. Ce qui a suivi est gravé encore plus profondément dans ma mémoire. Je m’étais promis une chose: quand le succès viendrait, il faudrait le savourer pleinement. Ce moment grandiose est venu à Oberstdorf. Je me suis donc dit: «Profite de cette journée, laisse-toi emporter par toutes les émotions!» Je me souviens exactement qui est venu nous voir et quand, comment chaque personne a réagi, ce qu’elle a dit. C’était simplement beau de partager la joie avec des personnes qui nous accompagnent et nous soutiennent depuis longtemps.

Fähndrich: Quand j’y repense, je vois les événements avec une vue globale. Comment nous avons célébré toutes les deux, comment notre entourage a fêté avec nous et comment nous avons pris une photo ensemble par la suite. J’ai trouvé cela magnifique et on s’en souviendra toute notre vie.

Notre course a visiblement ému beaucoup de monde. 

Nadine Fähndrich

Avez-vous déjà réalisé sur place ce que vous aviez réussi? Ou a-t-il fallu attendre quelques jours?

Fähndrich: Pas vraiment, il a fallu un certain temps. Je crois qu’il est beaucoup plus difficile de réaliser quelque chose comme ça quand c’est toi qui a obtenu ce résultat et non quelqu’un d’autre. Ce qui m’a aidé à prendre conscience que nous avions gagné la médaille d’argent, ça a été de voir les réactions de gens que je ne connaissais pas. Ils me disaient qu’ils avaient encore la chair de poule. Notre course a visiblement ému beaucoup de monde. Et puis il y a eu aussi les félicitations de la conseillère fédérale Viola Amherd,
van der Graaff: J’ai souvent entendu des interviews où les sportifs disaient après leur succès: «Je ne réalise pas du tout ce qui vient de se passer.» Et je me disais: c’est possible, ça? Maintenant, je comprends que c’est vraiment le cas.

Il n’y a que la fête au sens propre du terme qui a manqué.

van der Graaff: En ce moment, ce n’est tout simplement pas possible. Mais nous avons bien sûr fêté un petit peu.
Fähndrich: Il n’y a pas toujours besoin que ce soit en grande pompe. La fête a été petite mais de qualité, sans oublier la quantité énorme de réactions des gens. Nous avons vraiment profité.

Nadine, après avoir manqué la qualification pour la finale en sprint individuel, tu as parlé de «défaillance». Comment as-tu fait pour digérer si rapidement cette déception?

Fähndrich: J’ai vraiment senti une défaillance. L’incertitude était encore palpable au début du sprint par équipes. Laurien a trouvé les mots justes entre la demi-finale et la finale, ça m’a clairement aidée. Mais je me demande quand même comment j’ai fait pour réussir un aussi bon dernier tour.

Tu as la réponse?

Fähndrich: C'est sûrement dû au fait que je me suis très souvent imaginé livrer une telle performance. Je trouve intéressant de voir comment j’ai jubilé à l’arrivée cette fois-ci. Jusquelà, j’ai toujours levé les bras après les victoires. Mais ce jour-là, c’était différent. Mes mains sont restées en bas. J’interprète ce geste comme un soulagement. J’ai senti comme un poids qui s’envolait: ça y est, c’est fait!

Laurien, comment influences-tu Nadine?

van der Graaff: Nous nous connaissons très bien. J’ai remarqué dans son langage corporel que quelque chose clochait. Ce n’était pas une question de forme physique, mais plutôt dans la tête. Il suffisait d’appuyer sur un bouton pour que ça marche.

Je lui ai dit: Prenons du plaisir, rions, nous avons travaillé pour vivre ce moment.

Laurien van der Graaff

Tu avais donc la recette?

van der Graaff: Je n’ai pu que deviner ce qui lui enlèverait la pression pour qu’elle puisse courir librement. Je lui ai dit: «Prenons du plaisir, rions, nous avons travaillé pour vivre ce moment.»
Fähndrich: Elle a su trouver les mots justes. Avoir du plaisir, c’était la clé. Il y a aussi eu des moments durant la demi-finale où j’ai eu du mal à respirer. Nous avons également parlé de cela pendant la pause. Laurien m’a dit comment elle gère ces situations. Je l’ai écoutée et j'ai appliqué ses conseils intuitivement.

Fais-tu office de coach mentale pour Nadine?

van der Graaff: C'est un peu exagéré. Je suis là sur le circuit depuis un peu plus longtemps, j’ai vécu de nombreux moments comme celui vécu par Nadine et je sais donc très bien ce que l'on ressent Ce 28 février à Oberstdorf, on sentait que ce jour serait le nôtre, celui pour lequel nous travaillions depuis longtemps. Et quand je dis «nous», je ne parle pas seulement de nous, les deux fondeuses, mais de toute une équipe avec des entraîneurs et un staff qui nous a portées et soutenues. Tout ce que nous avions à faire était de courir. Cela semble relativement simple, mais c’était vraiment ça.

Votre relation est-elle toujours aussi harmonieuse?

Fähndrich: Non, pas du tout. Nous ne sommes pas toujours très gentilles l’une envers l’autre, nous savons dire des choses désagréables, mais notre relation est très franche.
van der Graaff: Oui, nous sommes directes. Mais toujours correctes. Je sais comment Nadine me voit et c’est réciproque. Aucune de nous ne se sent mal lorsque l’autre lui dit ses quatre vérités. Parce que nous ne voulons que le meilleur pour l’autre.

D’ailleurs, vous êtes aussi concurrentes.

van der Graaff: Oui, absolument. Mais durant l’hiver, nous passons beaucoup de temps ensemble. Cette relation serait horriblement difficile à vivre si nous ne nous entendions pas.
Fähndrich: Chacune se réjouit lorsque l’autre a du succès. Et chacune souffre lorsque sa collègue ne va pas bien. Le fait que nous soyons concurrentes ne change rien. Je crois que nous avons deux caractères différents et que nous nous complétons à merveille.
van der Graaff: Nadine se culpabilise souvent lorsque ça ne fonctionne pas comme elle le veut. Puis je relativise en lui disant que de nombreux facteurs ont une influence sur un moins bon résultat.
Fähndrich: Là où j’ai le plus d’influence, c’est sur ma performance. C’est pour ça que je suis très critique envers moi-même.
van der Graaff: Mais Nadine a beaucoup travaillé sur elle par le passé. Elle a mûri et oui, elle est un peu plus insolente. Parfois elle me surprend avec un dicton et je lui demande si c’est vraiment elle et pas moi qui ai dit ça. (elles rigolent)

Vous aviez annoncé avant les Mondiaux que vous vouliez une médaille. Cela sonne comme une insolence pas vraiment suisse ...

Fähndrich: ... C’est moi qui l’ai dit ...
van der Graaff: ... Oui! Nous répondions à une interview en ligne,d’abord Nadine, puis moi. La première phrase du journaliste a été: «Nadine a dit que tout résultat autre qu’une médaille serait une déception.» Je me suis dit: okay ... Mais je ne l’ai pas contredite. J’ai répondu que c’était vrai. Lorsque nous terminons à la 4e, 5e ou 6e place, nous sommes déçues. C’est vrai. Pourquoi n’aurait-on pas le droit de formuler clairement cet objectif?
Fähndrich: Ce n’est pas une promesse qu'on va atteindre ce résultat. Personne ne peut rien garantir en sport. Mais on doit prendre le contexte dans un tel cas spécifique: Nous sommes montées sur le podium quatre fois de suite sur deux saisons en sprint par équipes. Cela nous autorise à avoir certaines attentes envers nous-mêmes.

N’était-ce pas vous mettre de la pression vous-même?

van der Graaff: Je ne l’ai pas ressenti comme pression.
Fähndrich: Moi non plus.
van der Graaff: Les gens autour de nous ont peut-être eu peur mais nous ... non.
Fähndrich: Nous savions que si nous courions à notre niveau, nous terminerions sur le podium. C’était aussi simple que ça.

Laurien, à la fin de la saison 2018/19, tu étais épuisée et tu songeais à la retraite. Cette médaille d’argent a-t-elle une saveur particulière?

van der Graaff: C’est une confirmation que j’ai fait le bon choix. La conviction que je pouvais toujours courir pour le podium m’a motivée à continuer. Et Nadine a aussi eu une influence.
Fähndrich: C’était agréable pour moi de continuer à avoir une athlète comme Laurien dans l’équipe, avec qui je m’entends si bien, qui me met aussi au défi à l’entraînement et avec qui je partage des objectifs.

Quels sont vos prochains objectifs? Autrement dit: jusqu’à quand continueras-tu, Laurien?

van der Graaff: C’est la grande question. Si je continue, ce sera probablement une saison et pas plus. Mais ce n’est pas bon de décider au printemps, quand on est fatigué. J’attendrai un peu.

Tes batteries sont-elle aussi à plat, Nadine?

Fähndrich: Totalement, je suis fatiguée aussi bien physiquement que mentalement. Plus que jamais au terme d’une saison.

Les Jeux olympiques d’hiver 2022 sont-ils si loin?

van der Graaff: Je dois d’abord clarifier mon avenir. Mais si je décide d’être encore là en 2022, ce sera avec l’ambition d’être capable de terminer ma carrière sur un résultat aussi bon que possible.
Fähndrich: Les JO sont bien sûr dans ma tête et un grand objectif. 2022 sera une grande année. Mais je ne dis pas maintenant que tout résultat autre qu’une médaille serait une déception. (rires)