«Le plaisir à skier augmente chaque année de façon exponentielle»

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Photo: Keystone-ATS

Michelle Gisin sort d’un hiver riche en événements. Après avoir obtenu son meilleur résultat personnel en Coupe du monde dans trois disciplines différentes, elle a ensuite été confrontée à deux reprises aux aspects plus sombres du ski. Mais la skieuse polyvalente, 9e lors du géant de Sölden, attaque désormais la saison 2019/20 avec sérénité et des objectifs inchangés.

Dans cette interview, la skieuse d’Engelberg (25 ans) passe en revue les moments épuisants vécus l’hiver dernier, les critiques de la part de son entourage après sa plus grande victoire et qu’elle a trouvées excellentes, ainsi que la raison pour laquelle deux courses FIS à Zinal ont été décisives pour la suite de sa carrière.

La saison dernière s’est brutalement arrêtée en raison d’une opération au genou deux mois plus tôt qu’espéré. Quels ont été les changements apportés dans la préparation de l’hiver à venir?

Michelle Gisin: Tout s’est déroulé plus calmement. J’ai recherché ce calme et je savais que j’avais beaucoup plus de temps à disposition. Cela m’a fait énormément de bien. Je suis resté à 90% concentrée sur le sport de compétition, mais pour les 10% restants, j’ai pu m’aérer l’esprit. En revanche, j’ai réfléchi afin de savoir dans quel domaine de la collaboration avec mon encadrement il existe encore du potentiel d’amélioration, tout en sachant qu’elle se situe déjà à un niveau très élevé. Pour moi, c’était une opportunité de tout remettre à zéro et de me confronter à moi-même.

Je suis extrêmement reconnaissante d’avoir un aussi bon encadrement. Je ne pourrais vraiment pas trouver mieux.

 

Quelles conclusions as-tu pu tirer de ce processus de réflexion?

J’ai eu des discussions intéressantes avec mes entraîneurs, mes physiothérapeutes et ma soeur Dominique qui agit et observe en tant que «conseillère externe». Pendant les années précédentes, tout a suivi son cours, un entraînement pour les disciplines de vitesse s’est ajouté à l’entraînement technique. Cela signifiait que les choses se déroulaient séparément à différents endroits. Pour moi, il était désormais important que la communication entre nous, entre les membres de l’encadrement des deux équipes et entre l’encadrement et moi-même soit plus directe et moins compliquée. Au début de cette année, c’était le moment de mettre en place un plan clair. Il règne en effet un climat de grande confiance entre tous, on a consolidé beaucoup d’aspects des processus. Je suis extrêmement reconnaissante d’avoir un aussi bon encadrement. Je ne pourrais vraiment pas trouver mieux.

Tu t’es blessée au genou juste avant les CM d’Åre où tu aurais été candidate à une médaille. Au lieu de te lamenter sur ton sort, tu t’es montrée reconnaissante d’avoir été épargnée par les graves blessures pendant huit ans. Ces propos ont énormément impressionné de l’extérieur.

Je me suis rendue compte que j’avais désormais plus de temps pour moi-même. J’ai profité de pouvoir rester à la maison et de faire des choses avec mes amis. J’ai pris un peu de distance avec les médias. J’ai réussi très tôt à accepter la blessure. Pendant mon trajet de retour de Garmisch-Partenkirchen à Engelberg, j’ai réussi à me rendre compte de façon réaliste de ce qui s’était passé. Le fait est que je sais que beaucoup d’autres athlètes vivent complètement différemment les déboires liés à des blessures. On ne voit que rarement tous les autres qui n’ont pas la chance de réaliser une saison sans blessure. On ne voit pas le chemin que doit parcourir quelqu’un qui veut revenir après une blessure. Au sein de ma famille, j’ai vu ce que signifie toucher le fond quand on est blessé. En salle de musculation, personne ne saute de joie quand on arrive à nouveau à effectuer une flexion complète du genou avec une charge de 30 kilos. Dans les moments difficiles, on est tout seul. Étant donné que j’ai vu cela dans mon entourage pendant des années, je suis plus sensible quand d’autres athlètes autour de moi sont touchés par des blessures. Il y a des athlètes qui sont déjà contents quand ils n’ont pas de blessures pendant deux ans de suite. J’ai été en bonne santé pendant plusieurs années, j’ai pu vivre des CM à domicile, ensuite les Jeux Olympiques. À PyeongChang, j’ai pris conscience que tout ne tient qu’à un fil. Si je tombe dans le virage plus haut lors de la descente la veille, je ne rentre pas à la maison avec une médaille d’or en combiné, mais avec des béquilles. Notre sport est merveilleux, mais il peut aussi être brutal.

Au mois de janvier, il y a eu des moments où je n’étais pas sûre d’y arriver.

 

Tu as abordé l’historique des blessures au sein de ta famille. Après l’horrible chute de ton frère Marc à mi-décembre, tu as vécu des semaines très pénibles.

Mes réserves d’énergie étaient tout simplement épuisées. Au mois de janvier, il y a eu des moments où je n’étais pas sûre d’y arriver. Chaque tirage au sort des dossards chaque événement avec les médias, des choses qui me donnent d’habitude de l’énergie, était très éprouvants. Tout le monde voulait savoir comment allait Marc. Après la blessure de Marc, notre famille a ressenti un incroyable soutien et de la sympathie, c’était très important pour nous. Mais quand le réservoir d’énergie est presque vide, il faut aussi de la force. D’ordinaire, j’aime les apparitions en public comme le tirage au sort des dossards la veille de la course. Sourire et échanger des banalités à ce moment-là était pour une fois devenu plutôt désagréable. Je me réjouis toutefois déjà de la saison à venir avec, espérons-le, plein d’énergie positive de mon côté et aussi du public!

Tes ambitions ont-elles changé par rapport à l’hiver dernier?

Non, je veux continuer de me présenter au départ de toutes les disciplines. En slalom géant, j’aimerais passer un cap, cette discipline me tient à coeur. Je me concentre essentiellement sur la descente, je souhaite me battre pour le petit globe de cristal. Pour le lancement de la saison de vitesse, j’espère que j’arriverai à nouveau à être détendue comme ce fut le cas il y a une année. J’adore les courses à Lake Louise. Là-bas, j’ai fini trois fois sur le podium ces deux dernières années, c’est incroyable!

Pour moi, il n’est pas question de laisser tomber une discipline, car je m’identifie à chacune d’elles.

 

Remporter le général de la Coupe du monde est-il ton grand objectif à long terme?

Être en course pour le grand globe de cristal et avoir ce globe en ligne de mire pendant les finales de Coupe du monde serait un grand rêve. Remporter le classement général de Coupe du monde est l’un de mes plus grands objectifs. Il faut réaliser une saison parfaite pour y arriver. J’espère beaucoup que je réussirai à le faire.

Tu es fière d’être une skieuse polyvalente. Est-ce ton plus grand succès que d’avoir réussi à l’être au niveau de la Coupe du monde?

J’ai toujours admiré les athlètes qui étaient au top dans toutes les disciplines. Pour moi, il n’est pas question de laisser tomber une discipline, car je m’identifie à chacune d’elles. II est très important d’être une skieuse polyvalente à mes yeux. L’hiver dernier, j’ai réussi une très bonne saison en slalom, il faut continuer sur cette voie et franchir encore une ou deux étapes. En slalom géant, il en faut encore un peu plus. Dans cette discipline, il me faut peut-être encore passer deux ou trois échelons pour arriver tout en haut.

Quel est pour l’instant le moment le plus important de ta carrière?

Il y en a deux. D’une part celui où j’ai sauvé ma carrière et celui où je l’ai lancée. Les deux fois, cela s’est passé pendant une course FIS à Zinal. Début avril 2012, à la fin de ma saison de retour après une rupture des ligaments croisés, j’y ai remporté un Super-G. Jusque-là, rien n’était allé comme je le voulais, j’avais des attentes trop élevées et je n’arrivais pas à y répondre. Le fait d’avoir remporté la toute dernière course de la saison a été capital pour la suite de ma carrière. Sans cette victoire, j’aurais tout simplement perdu mon statut de cadre C. Je ne sais pas si j’aurais continué de miser sur le ski. Je passais aussi ma maturité à l’époque. Peut-être que des études m’auraient tentée. Grâce au relâchement provoqué par cette course, j’ai toutefois repris plaisir à skier. Et ensuite, au début de la saison suivante, le moment important suivant est arrivé car en l’espace de deux jours, j’ai remporté haut la main deux slaloms FIS à Zinal. Avec le recul, ce fut une sorte de lancement de ma carrière. Du point de vue émotionnel, l’ensemble des CM à domicile en 2017 à St. Moritz et ma victoire olympique au combiné de PyeongChang ont bien entendu été les meilleurs moments de ma carrière jusqu’à maintenant.

Je n’ai pas beaucoup changé, mais je suis plus sereine.

 

Cette médaille d’or olympique contribue certainement à aborder sa carrière de façon plus détendue.

Absolument, ce succès m’a apporté beaucoup de tranquillité l’année dernière. Cette année aussi, je la ressens. Je n’ai pas beaucoup changé, mais je suis plus sereine. J’ai pu partager ce succès avec tellement de personnes qui m’ont soutenue pour y arriver. Ça a été un immense privilège que de vivre de telles émotions. Beaucoup de sportifs ne vivent jamais cela. À ce moment-là, tu te rends compte de tout ce que tu as vécu et ce par quoi tu as passé jusque-là.

Après ton titre olympique, tu as dit que tu savais maintenant pourquoi des gens qui ont du succès n’arrivent pas à garder les pieds sur terre. Qu’est-ce qui t’aide à garder les pieds sur terre comme tu le fais?

Très clairement la famille. De mon point de vue, c’est une question d’entourage. Lorsque je suis rentrée à la maison, mon ami Luca de Aliprandini et mon frère (les deux ont aussi participé aux Jeux Olympiques à PyeongChang, ndlr) ont analysé ma course aux JO de façon critique et ont remarqué quelques fautes lors de ma course. Je n’ai pu m’empêcher de sourire intérieurement et je leur ai ensuite dit: Eh, j’ai gagné! Ils m’ont arrêté et m’ont démontré qu’il y existe toujours des choses à améliorer. Et que pour cela, je peux compter sur tout leur soutien.

Tu as fait tes débuts en Coupe du monde lors de la saison 2012/13 et peu de temps après, tu as remporté la médaille d’argent en slalom lors des Championnats du monde juniors. Quel a été depuis lors ton développement personnel?

Comme nous tous, je suis devenue plus adulte et j’ai engrangé de précieuses expériences. Cela conduit aussi à plus de constance. Du point de vue sportif, je peux dire que j’ai encore plus de plaisir à skier et que ce plaisir augmente chaque année de façon exponentielle.

Tu te gères en grande partie toi-même, ce qui est plutôt inhabituel pour une athlète brillante et très sollicitée. Comment arrives-tu à assumer tout cela?

Pour ce qui est de l’administratif, je reçois aussi du soutien de ma mère, Dominique m’aide aussi dans certains domaines. Mais cela me fait du bien d’établir moi-même des factures et de pouvoir régler certaines choses avec les sponsors. De cette manière, la collaboration est plus directe et on sait mieux ce que chaque sponsoring signifie. Cela aide à garder les pieds sur terre. En tant que sportifs, nous sommes loin du monde du travail normal. C’est certainement un avantage pour l’après-carrière de savoir faire l’une ou l’autre chose. C’est pourquoi j’essaie de faire moi-même ce que je peux. Parfois ça dure un peu plus longtemps jusqu’à ce que je réponde à un e-mail, mais avec moi, il faut simplement revenir à la charge.

Dans la perspective des CM à Åre, tu as commencé à apprendre le suédois. Est-ce que ce «projet» est encore en cours ou as-tu déjà commencé à apprendre une autre langue?

Après la blessure subie, ma motivation pour l’apprentissage du suédois a logiquement un peu baissé. J’aimerais bien le maîtriser un peu mieux. Pendant la préparation de la saison, j’ai voulu parler suédois avec Sarah Hector sur le glacier, mais la conversation n’a pas duré bien longtemps. J’ai encore beaucoup à apprendre. Je souhaite aussi améliorer mon espagnol. Pour l’instant, l’apprentissage d’une autre langue n’est pas prévu.

En dehors des langues et du sport, qu’est-ce qui est tout en haut de ta liste des choses à faire?

Je ne suis pas une fan des listes du style «les endroits à voir absolument». Cela viendra au moment où je me trouverai à l’automne de ma vie. Je suis dans une situation privilégiée. Par mon travail, j’ai déjà la possibilité de voir énormément de choses dans le monde. Je rencontre beaucoup de personnes intéressantes avec lesquelles je peux parler de choses passionnantes. L’un de mes grands rêves est toutefois d’aller un jour en Islande. Mais il est vrai qu’il y a aussi beaucoup de destinations intéressantes en Suisse, tout près de chez nous. Il y a quelques semaines par exemple, j’étais à la Station ornithologique de Sempach. J’ai trouvé cela très impressionnant et intéressant. On y apprend beaucoup de choses sur notre pays et notre faune. Pour moi, il n’est pas si important d’avoir vu ce que l’on «doit» soi-disant voir. Je trouve qu’il est plus important de garder les yeux ouverts toute la vie.