Andi Evers – l'expert

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Andi Evers dirige l'équipe suisse de descente. Photos : Stephan Boegli

Depuis ce printemps, Andi Evers dirige l’équipe suisse de descente. Cet Autrichien de 49 ans a laissé partout derrière lui des traces significatives et compte parmi les experts les plus avisés du circuit. Son bilan jusqu’ici est impressionnant. En sera-t-il de même désormais avec Swiss-Ski?

« Ses qualifications sont indiscutables, mais ...», commente Beat Feuz. «Il est certes très compétent et il a un bon œil, mais ...»,  ajoute Carlo Janka. «Il a de bonnes idées et un tempérament plutôt calme et réfléchi, mais ...», poursuit Mauro Caviezel. Bref, la première impression laissée par Andi Evers est très bonne, mais ...


Le succès ne vient pas tout seul

Ce «mais» fait référence au seul paramètre qui, dans toute activité sportive, permet de mesurer les progrès accomplis: le résultat. «Mais le succès ne vient pas tout seul», ajoute Beat Feuz. «Et seuls les résultats comptent», renchérit Mauro Caviezel. De son côté, Carlo Janka ne se départit pas de son habituel pragmatisme: «Ces lauriers sont mérités mais prématurés: c’est cet hiver qu’on fera le décompte.» Il ne sert effectivement à rien de dresser des plans sur la comète, et Carlo Janka est bien placé pour le savoir, lui qui s’est déchiré les ligaments croisés avant même les premiers rendez-vous de la saison. Et l’exemple d’Ottmar Hitzfeld engage à une certaine prudence: lorsqu’il avait repris l’équipe nationale de football, certains joueurs avaient cru qu’avec un entraîneur de cette trempe le succès allait tomber de lui-même. Une défaite humiliante 2:1 contre le modeste Luxembourg les avait obligés à revenir sur terre.


Le puissant «WC4»

A l’époque, Andi Evers avait durablement marqué de son empreinte l’histoire du ski autrichien grâce au légendaire WC4, certainement l’équipe la plus puissante jamais vue en Coupe du monde de ski. Hermann Maier, Michael Walchhofer, Benjamin Raich et, un peu plus tard, Mario Matt en faisaient partie. Ces quatre-là furent des vainqueurs en série, des champions du monde et des champions olympiques. Mais derrière leurs exploits, il y avait un homme discret et modeste: leur chef Andi Evers. A une époque où le narcissisme et les déclarations à l’emporte-pièce s’érigent en règle, cet homme est presque un anachronisme vivant. Il avoue qu’il n’a jamais compté «ses» victoires et «ses» médailles. «Mais il doit y avoir une centaine de victoires et une vingtaine de médailles durant l’époque où j’étais l’entraîneur en chef de ces athlètes», poursuit-il.

Mais il doit y avoir une centaine de victoires et une vingtaine de médailles durant l’époque où j’étais l’entraîneur en chef de ces athlètes.

Andi Evers

«Une fois j’ai quand même dû faire le décompte exact: c’est quand je suis parti pour les USA, en 2012. Pour le permis de travail, j’ai en effet dû présenter un résumé exhaustif. Je n’aime pas faire ce genre de chose, parce que ce ne sont pas mes succès, mais ceux des athlètes.» Une réaction typique d’Andi Evers.


L’aventure américaine

En tant qu’entraîneur aux USA, Andi Evers parvint à remettre Steven Nyman sur la voie du succès, après une interruption de six ans. Et grâce à lui, Travis Ganong monta pour la première fois sur le podium. Après deux ans, l’Autrichien dut pourtant s’en aller, «parce que le nouveau président de l’Association américaine de ski ne voulait pas commencer son mandat en traînant un boulet derrière lui», explique Andi Evers. Le «boulet» en question, c’est une affaire judiciaire. A cette époque, Andi Evers vivait avec sa petite amie. Or, celle-ci fut condamnée pour avoir détourné 7,6 millions d’euros dans une entreprise d’informatique. Andi Evers fut également condamné pour complicité: en tant que partenaire de la prévenue, il fut accusé d’avoir profité de cet argent mal acquis. «J’ai rencontré la mauvaise femme au mauvais moment. Mais bon, c’était de ma faute, j’aurais dû me poser quelques questions. Je ne me suis pas soucié de l’origine de cet argent. Pour moi, cela a été un moment très difficile, mais assez instructif», raconte-t-il. Après une année passée à l’académie du ski à Waidhofen, l’Autrichien a atterri au Liechtenstein, où il a mené Tina Weirather à sa première médaille en Coupe du monde et à son titre de championne du monde de super-G. Jusqu’à ce printemps, où il a été approché par la Fédération suisse de ski. «Quand il m’a dit que les Suisses l’avaient contacté, je lui ai tout de suite conseillé d’accepter cette offre», explique Tina Weirather, qui apprécie dans cet homme ses compétences techniques et son tempérament placide et réservé. «Moi, je n’aime pas être supercoachée», résume-t-elle, «et Andi a toujours su trouver la bonne mesure.»


Evers depuis longtemps dans le collimateur

Actuel président de Swiss-Ski, Urs Lehmann avait Andi Evers dans le collimateur depuis un bon moment. En 2013 déjà, alors que l’entraîneur des descendeurs, Roland Platzer, passait du côté des descendeuses, l’Autrichien figurait parmi les candidats au poste. Il faut dire qu’Urs Lehmann et Andi Evers se connaissent depuis presque 30 ans. Ils étaient même adversaires sur les pistes. Et au début des années 90, ils ont passé deux semaines ensemble au Japon. Andi Evers y séjournait comme pilote de tests pour Atomic, et Urs Lehmann avait été envoyé à Morioka par Karl Frehsner en prévision des courses FIS, car celui-ci avait remarqué que la piste sur laquelle s’étaient déroulés les Championnats du monde de 1993 était taillée sur mesure pour Urs Lehmann. Bon pressentiment: la saison suivante, le descendeur suisse devenait en effet champion du monde de la discipline. A ce moment-là, la carrière d’Andi Evers touchait déjà à sa fin. L’Autrichien passait pourtant pour un des plus grands talents de sa génération. En 1986, il était vice-champion du monde junior, à sa grande déception encore aujourd’hui. «J’avais dominé toutes les courses de ma catégorie et je partais grand favori. Mais deux jours avant la descente des Championnats du monde, je me suis fait une contusion au tibia», raconte Andi Evers. C’est le Romand William Besse qui a décroché la médaille d’or, pour six centièmes de seconde. «Mais Besse a mérité sa victoire, il l’a prouvé par la suite en Coupe du monde, où il a eu bien plus de succès que moi», reconnaît-il.


Pas de grande carrière derrière lui

Andi Evers a disputé une douzaine de courses Coupe du monde, sans jamais se placer parmi les premiers. Durant trois ans, il a pratiquement aligné les blessures, puis il a été éjecté des cadres. Hannes Trinkl, futur champion du monde, aujourd’hui patron de la descente à la FIS, partageait souvent sa chambre avec Andi Evers. «Andi n’a jamais eu de chance durant sa carrière; mais il est devenu un entraîneur exceptionnel, le meilleur à mes yeux. Je ne comprends pas que la Fédération autrichienne de ski ne l’ait pas repris», commente-t-il.

Je ne comprends pas que la Fédération autrichienne de ski ne l’ait pas repris.

Hannes Trinkl, patron de la descente à la FIS

Avant de devenir entraîneur, il a travaillé dans le commerce, puis dans le marketing des remontées mécaniques de Flachau, petite commune autrichienne. Puis il a obtenu ses diplômes d’entraîneur de ski, en même temps qu’un certain Hermann Maier, lui-même éjecté des cadres. Evers et Maier, qui sont tous les deux de Flachau, se sont connus étonnamment sur un terrain de football, et non sur les pistes. Au football aussi, Andi Evers avait du talent: il était entraîneur-joueur du club local, et durant son adolescence il avait fait partie de la sélection autrichienne.


Maier et Evers se retrouvent en Coupe du monde

Hermann Maier et Andi Evers se sont retrouvés en Coupe du monde de ski par des chemins détournés. Grâce à un temps extraordinaire en tant qu’ouvreur (!) dans le slalom géant Coupe du monde de Flachau (remporté par Urs Kälin), Hermann Maier se vit offrir comme récompense une place sur la grille de départ de la Coupe d’Europe, puis de la Coupe du monde. Et c’est Andi Evers, désormais entraîneur, qui fit de ce parfait inconnu le champion du monde et le champion olympique que l’on connaît. La philosophie d’Evers peut se résumer ainsi: toujours s’entraîner en équipe, mais en même temps essayer d’aborder chaque  athlète le plus individuellement possible. Cette philosophie coïncide avec la nouvelle stratégie de Swiss Ski. Dans un programme d’entraînement, les jeunes talents en devenir et ex-champions du monde juniors Ralph Weber ou Nils Mani ne peuvent pas être soumis au même régime que Beat Feuz ou Patrick Küng. C’est pourquoi deux groupes de descendeurs ont été formés: le premier (A/1) sous la direction  d’Andi Evers et Jörg «Jojo» Roten, le second (1B) sous la direction de Simon Rothenbühler et Vitus Llüönd. De son côté, Franz Heinzer continue de diriger l’équipe de Coupe d’Europe. Jörg Roten est également institué «coordinateur» des pistes d’entraînement, dont la responsabilité générale incombe pourtant à Evers.

Lui tout seul avec Küng

Dès son intronisation, à la fin de l’hiver passé, Andi Evers a donné un bon exemple de sa philosophie. Il est allé skier une semaine en compagnie de Patrick Küng, juste les deux, en toute liberté. «Cela m’a fait du bien que quelqu’un d’autre me dise une fois comment je dois skier. J’ai beaucoup appris, j’ai reconstruit mes fondamentaux et j’ai retrouvé du plaisir à skier», s’exclame l’ancien champion du monde, plein d’éloges. «Chez Paddy, il s’agissait d’une réinitialisation technique, car les divers paramètres ne jouaient plus tous très bien ensemble», ajoute Andi Evers. «J’aurais volontiers fait ça avec d’autres, mais hélas le temps manquait.» Les astuces psychologiques et les dynamiques de groupe artificielles ne sont pas sa tasse de thé. «Si les gars se poussent les uns les autres, alors une bonne dynamique s’installe automatiquement. Au fond, il s’agit toujours de la même chose: gagner des courses, que ce soit en Coupe du monde, aux Championnats de monde ou aux Jeux olympiques.»